Observation
Une patiente de 55 ans consulte aux urgences pour un malaise survenu le jour même à son domicile sans perte de connaissance. Elle n'a pas d'antécédent cardiovasculaire notable.Elle est active, travaille comme comptable et a deux enfants en bonne santé.
Elle a comme facteurs de risque cardiovasculaire un tabagisme actif à 30 paquets/années et une hérédité coronarienne précoce (triple pontage chez la mère à 55 ans). À l'interrogatoire, la patiente explique qu'elle a ressenti avant son malaise des palpitations et une sensation de faiblesse musculaire généralisée accompagnée d'une gêne thoracique.
Examen clinique
La patiente est parfaitement consciente et orientée. La fréquence cardiaque est de 80 par min, la pression artérielle de 12/8, la saturation en oxygène en air ambiant de 100 %. Elle est apyrétique.Les bruits du coeur sont réguliers et sans souffle. Il n'y a pas de signe d'insuffisance cardiaque.
Les pouls périphériques sont perçus et sans souffle. Le reste de l'examen clinique est normal.
Démarche diagnostique initiale aux urgences
Le bilan biologique réalisé en urgence est normal en dehors d'une élévation pathologique des D-dimères. Par ailleurs, il n'y a pas d'élévation de la troponine ou de trouble métabolique.Un bilan des facteurs de risque, avec un prélèvement effectué le lendemain à jeun, mettra en évidence une hypercholestérolémie avec élévation du LDL-cholestérol à 1,7 g/l.
La radiographie du thorax montre une cardiomégalie modérée avec une pointe cardiaque sous-diaphragmatique.
L'électrocardiogramme (ECG) montre un rythme sinusal et régulier à 60 par min. Il n'y a pas de trouble du rythme ou de la conduction. On note une onde Q en V1V2 compatible avec une séquelle de nécrose myocardique antérieure.
Afin d'éliminer formellement une embolie pulmonaire, un angioscanner pulmonaire est réalisé aux urgences (malaise, tachycardie sinusale avec vague douleur thoracique, élévation des D-dimères).
Cet examen ne décèle aucun signe d'embolie pulmonaire, mais met en évidence une image anormale comblant la pointe du ventricule gauche (VG) d'aspect tissulaire et mesurant 4 cm.
Les premiers diagnostics évoqués sont ceux de thrombus apical et de tumeur cardiaque.
Elle est adressée en cardiologie pour poursuivre les examens.
Bilan cardiologique
L'échographie cardiaque transthoracique (ETT) montre un VG non dilaté, non hypertrophié. Il existe une large poche dyskinétique antéro-septo-apicale comblée par une masse polylobée, le plus grand axe mesurant 5 cm sur 3 cm. La fraction d'éjection du VG est mesurée à 45 % (images 1 et 2).Les pressions de remplissage du VG sont normales, il existe un minime épanchement péricardique en regard de la poche dyskinétique.
Un traitement d'épreuve par anticoagulants efficace est entrepris afin de juger de l'évolutivité de cette masse sous anti-vitamines K (AVK) dont la régression confirmerait la nature thrombotique.
Un holter ECG des 24 heures est réalisé et détecte un rythme sinusal permanent avec quelques extra-systoles ventriculaires sans doublet ni salve. Il n'y a pas de trouble du rythme ou de la conduction paroxystique.
Une IRM cardiaque sous traitement est réalisée : elle confirme, d'une part, la cardiopathie probablement ischémique avec une dyskinésie de toute la pointe du VG et, d'autre part, le comblement d'un anévrisme apical par une masse volumineuse, évoquant dans ce contexte un thrombus.
Il existe une prise de contraste péricardique probablement en rapport avec une fissuration apicale.
Démarche thérapeutique
La patiente est donc sous AVK à doses efficaces (INR entre 2 et 3).On commence un traitement par des inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC), statines, antiagrégants plaquettaires et bêtabloquants.
Une ETT de contrôle sous AVK réalisée à 7 jours de traitement montre l'absence d'évolution de la masse.
Compte tenu du doute diagnostique et de la possible fissuration apicale du VG à l'IRM, il est décidé d'un traitement chirurgical rapide.
Une coronarographie est réalisée, qui montre une occlusion monotronculaire de l'artère interventriculaire antérieure (IVA) distale, confirmant a priori le diagnostic de cardiopathie ischémique sous jacente. Un doppler des troncs supra-aortiques et normal. La patiente est transférée en service de chirurgie cardiaque.
L'intervention a lieu le lendemain : il est constaté en premier lieu que l'anévrisme du VG n'est pas rompu dans le péricarde. Une ventriculotomie gauche est d'abord effectuée puis une exérèse de la masse, dont l'examen confirmera la nature thrombotique. Ensuite, l'exclusion de l'anévrisme par un patch en téflon recouvert de péricarde autologue. Il n'a pas été possible de ponter l'IVA.
Les suites de l'intervention ont été simples.
Le contrôle ETT postopératoire visualise le patch avec une bonne exclusion de la pointe du ventricule gauche. La fraction d'éjection du ventricule gauche (FEVG) est mesurée à 45 %.
Le traitement de fond (IEC, statines, antiagrégants plaquettaires et bêtabloquants) est maintenu.
Discussion
Les anévrismes dyskinétiques du VG sont actuellement des complications rares des infarctus (syndromes coronaires aigus avec susdécalage du segment ST), compte tenu de l'amélioration de leur prise en charge (revascularisation précoce, traitements anticoagulants et antiagrégants plaquettaires, IEC).Cependant, on peut encore les découvrir lorsque l'infarctus est passé inaperçu (le cas de cette patiente) ou est vu tardivement.
Ces anévrismes peuvent eux-mêmes se compliquer d'insuffisance cardiaque gauche systolique, de troubles du rythme ventriculaire (tachycardie ou fibrillation), de thrombose et d'embolies artérielles, rarement de rupture ou de fissuration (en péricarde, voire en paroi libre).
Leur traitement médical doit donc comporter l'association d'IEC, de bêtabloquants, d'anti-aldostérone et parfois d'un diurétique de l'anse (associés aux statines et antiagrégants plaquettaires).
La nécessité d'un traitement chirurgical est rare, mais s'impose en cas de fissuration ou de rupture. La restauration d'un volume du VG par la chirurgie améliore la fonction systolique (en moyenne de plus de 5 %). La technique de référence est l'exclusion de l'anévrisme par un patch. En cas de viabilité résiduelle myocardique dans le territoire de l'infarctus compliqué d'anévrisme, la mortalité sous traitement médicamenteux simple est supérieure à celle des patients traités par chirurgie. Notre patiente n'a pas pu être pontée sur l'IVA, compte tenu de l'importance de l'anévrisme.
Par Dr Spiculus
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